mardi 5 avril 2011

Le principe de sécurité juridique (CE, ass., 24/03/2006, KPMG)

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Il fut un temps ou la consécration par le juge administratif de principes généraux du droit, élaborés pour faire face à la pénurie de règles législatives, était relativement fréquente. De nos jours, il n'arrive que rarement que le Conseil d'Etat consacre de tels principes. L'arret KPMG vient rompre avec cette tendance, puisque le juge administratif y consacre un principe très attendus par les juristes, celui de sécurité juridique.
Dans cette affaire, la société KPMG demande au Conseil d'Etat l'annulation  du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes approuvé par le décret du 16 novembre 2005. Ce décret est venu appliquer la loi du 1 aout 2003 sur la sécurité financière. Il s'agit d'édicter de nouvelles règles afin d'assurer une meilleure tranparence financière suite au scandale Enron. Le 24 mars 2006, le Conseil d'Etat, en assemblée, annule le décret de 2005 en tant qu'il n'a pas prévu de mesures transitoires à la nouvelle réglementation.
Avec cet arret, le Conseil d'Etat vient préciser les règles qui s'appliquent lorsque de nouvelles réglementations sont édictées. Ainsi, par exception au principe qui veut que les situations contractuelles en cours soient régies par la règlementation applicable à la date à laquelle elles ont été nouées, le Conseil d'Etat considère que le nouvelle réglementation peut s'appliquer aux situations contractuelles en cours dès lors qu'une disposition législative  l'y autorise pour des raisons d'ordre public. L'application de la nouvelle réglementation peut donc, dans cette hypothèse, avoir une caractère rétroactif. Mais, dans le meme temps, la Haute juridiction précise que l'Administration a l'obligation d'édicter, pour des motis de sécurité juridique, des mesures transitoires afin que le changement de réglementation ne soit pas trop brutal. Une réglementation qui, ne prévoyant pas de mesures transitoires, porterait une atteinte excessive aux situations contractuelles en cours serait contraire au principe de sécurité juridique.
Longtemps les attentes à l'égard d'une consécration du principe de sécurité juridique par le Conseil d'Etat furent nombreuses. Les impératifs de sécurité juridique imprégnaient considérablement de nombreux arrets du Conseil d'Etat. De plus, d'autres juridictions avaient consacré des principes connexes, comme le principe de confiance légitime. La décision du Conseil d'Etat semble répondre aux attentes. Mais, si l'arret est suffisamment clair sur les effets que le Conseil d'Etat entend faire jouer au principe de sécurité juridique, il laisse, en revanche, planer certains doutes quant à sa consécration formelle comme principe général du droit.
Ainsi, il convient donc d'étudier, dans une première partie, les orgines du principe de sécurité juridique (I), puis d'analyser, dans une seconde partie, les effets du principe de sécurité juridique(II).



I – Les origines du principe de sécurité juridique

Le principe de sécurité juridique imprègne tout notre droit, si bien que certains principes, qui lui sont proches, ont fait l'objet d'une consécration (A). Quant à la jurisprudence administrative, elle s'en inspire largement (B).


A – Les principes connexes

Deux principes doivent retenir ici l'attention : le premier est l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme consacré par le Conseil constitutionnel (1); le second est le principe communautaire de confiance légitime (2).

1 - L'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme
Cet objectif a été consacré par le Conseil constitutionnel par sa décision du 16 décembre 1999 relative à la codification par ordonnance. Dans l'affaire KPMG, le Conseil d'Etat confirme sa jurisprudence (CE, 8/08/2005, Fédération des syndicats généraux de l'Education nationale) en affirmant que l'invocation d'un tel moyen à l'encontre d'un acte administratif est opérant.
La tache du  juge administratif n'est pas, pour autant, modifiée. Il continuera à tenter de donner un sens aux dispositions imprécises, grace notamment à l'analyse des intentions des auteurs de l'action. Mais, confronté à un texte dont le sens est impossible à préciser, le juge administratif pourra sanctionner le texte grace à ce nouveau moyen. En l'espèce, ce moyen est écarté.
Un autre principe se rapproche encore plus du principe de sécurité juridique : il s'agit du principe de confiance légitime.

2 – Le principe de confiance légitime
Avant d'en venir aux solutions jurisprudentielles, il importe de comparer les notions de confiance légitime et de sécurité juridique. La première oblige les autorités à édicter des mesures tansitoires afin que les administrés puissent adapter leur comportement. La sécurite juridique tend au maintien des situations juridiques établies et à éviter qu'elles ne soient remises en cause rétroactivement.
Le principe de confiance légitime est perçu par le Conseil d'Etat comme un principe exclusivement communautaire (CE, ass., 5/03/1999, Rouquette). Son application n'est donc possible que lorsque le juge est confronté à un acte ayant une dimension communautaire. Si l'acte ne relève pas d'une matière communautarisées, le principe de confiance légitime ne s'applique pas.
Dans cette affaire, le juge administratif écarte l'application de ce principe. On le voit, le principe de sécurité juridique est entouré de multiples principes connexes. Mais, il arrive que ce principe inspire directement la jurisprudence administrative.


B – La sécurité juridique : une source d'inspiration pour la jurisprudence administrative

Deux voies peuvent etre suivies. La première est celle qui consiste à voir dans de nombreux PGD de simples applications du principe de sécurité juridique (1). La seconde est illustrée par la jurisprudence en matière de retrait des décisions explicites créatrices de droit, jurisprudence qui tend à faire sa part au respect de la sécurité juridique (2).

1 - Les principes généraux du droit dérivés
De nombreux principes généraux du droit ne sont qu'une application dans un domaine bien déterminé de l'idée générale de sécurité juridique. Il en va, ainsi, du principe de la non-rétroactivité des actes administratifs (CE,    ass., 25/06/1948, So. du journal L'Aurore). D'autres principes s'éloignent de la sécurité juridique pour toucher la garanties des droits des administrés. La jurisprudence vient ici consacrer des moyens dont disposent les administrés pour défendre leurs droits. Il est possible de citer le principe selon lequel tous les actes administratifs sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE, ass., 17/02/1950, Dame Lamotte), ou encore le principe des droits de la défense (CE, ass., 26/10/1945, Aramu).
Tous ces principes tendent, dans leur domaine, à assurer une certaine garantie des droits des administrés, et par le meme la sécurité juridique de leur situation.
La sécurité juridique imprègne aussi d'autres domaines, sans qu'il y ait consécration d'un PGD. Il est possible ici de prendre l'exemple du retrait des décisions explicites créatrices de droits.

2 - Un exemple d'application : le régime du retrait des décisions explicites créatrices de droits
Le retrait, par l'Administration, de l'une de ses décisions illégales n'a pour but que de devancer l'annulation qui pourrait etre obtenue devant le juge. Le régime du retrait tend donc à faire respecter le principe de légalité. Mais, en supprimant ainsi une décision pour l'avenir et le passé, l'Administration porte atteinte à la stabilité des situations juridiques, et donc à la sécurité juridique. Des règles ont donc été posées par le juge afin de trouver un juste équilibre entre ces deux exigences. Ainsi, à l'origine, le retrait n'était possible que pendant le délai de recours contentieux (CE, 3 /11/1922, Dame Cachet). Mais, ce principe fut radicalisé, de sorte qu'il offrit à l'Administration une possibilité indéfinie de retrait (CE, ass., 6/05/1966, Ville de Bagneux). Pour rétablir l'équilibre au profit de la sécurité juridique, le Conseil d'Etat décida que le retrait de décisions explicites créatrices de droits n'était possible que dans le délai de quatre mois à compter de la prise de décision (CE, ass., 26/10/2001, Ternon).
Cet exemple illustre à quel point les impératifs relatifs à la sécurité juridique ne sont pas absents de la jurisprudence administrative. La décison du 24 mars 2006 s'inscrit donc dans un ensemble juridique déjà bien fourni. Par cette décision, le Conseil d'Etat précise les effets qu'il entend faire produire au principe de sécurité juridique.

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