mardi 5 avril 2011

Le principe général du droit au reclassement (CAA de Marseille, 21/10/2008, CROUS de Montpellier)

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Lorsqu'il élabore de la jurisprudence, et notamment des PGD (principes généraux du droit), le Conseil d'Etat vient poser à l'Administration les limites qu'il estime justes.Ainsi, au travers de sa fonction de création de normes jurisprudentielles, il est possible d'analyser la conception que le juge administratif se fait des rapports entre Administration et administrés. L'affaire étudiée est l'occasion de vérifier cette assertion.

Dans cette affaire, Mme. X est employée comme gardienne d'immeuble au CROUS de Montpellier depuis le 1° septembre 1994 en vertu d'un contrat à durée indéterminé. Celle-ci cesse ses fonctions le 18 novembre 2002 et est placée en congé de maladie ordinaire. Le 3 mars 2004, le comité médical de l'Hérault constate l'inaptitude physique définitive de l'intéressée à reprendre ses fonctions. Le 12 mars 2004, le directeur du CROUS licencie Mme. X à compter du 19 novembre 2003. Mme. X saisit, alors, le tribunal administratif de Montpellier afin de faire annuler cette décision. Ce dernier, le 30 juin 2006, annule la décision du directeur du CROUS. Le CROUS fait donc appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Marseille. Cette dernière, le 21 octobre 2008 rejette cette requete.
Avec cette décision, la cour d'appel fait application de l'un des derniers PGD consacrés par le Conseil d'Etat, à savoir le principe général du droit au reclassement et au licenciemet en cas d'inaptitude physique (CE, 2/10/2002, Chambre de commerce et d'industrie de Meurthe-et-Moselle). Le juge a recours à cette catégorie de règles pour faire face aux lacunes du droit écrit. En effet, le droit du travail contient bien une telle règle, mais il n'est pas applicable à Mme. X. Pour faire face à ce problème  et apporter des garanties aux administrés, le juge administratif décide, alors, de consacrer un nouveau PGD. On retrouve là les deux raisons poussant le Conseil d'Etat à consacrer de nouveaux PGD. S'il se réfère, pour cela, au code du travail, cette référence ne doit pas tromper. En effet, bien qu’il se serve parfois des textes pour les découvrir, le juge reste le seul créateur des PGD. Il n’existe, ainsi, aucun lien formel entre PGD et textes. Seule une communauté de valeur est admise. Dès lors, se pose la question de la valeur juridique à accorder à de tels principes. Si plusieurs thèses se sont affrontées, celle de la valeur infralégislative et supradécrétale du professeur Chapus semble devoir l’emporter ; la considération du caractère spécialisé du principe étudié, par rapport à la généralité des premiers PGD, n’ayant, s’agissant de cette question, aucune influence.
Ainsi, Il est possible d’étudier, dans une première partie, l’origine du principe général du droit au reclassement et au licenciement (I) pour  analyser, dans une seconde, partie sa force juridique (II).


I – L’origine du principe général du droit au reclassement et au licenciement

Cette origine peut être envisagée du point de vue des raisons qui ont poussées le juge à consacrer un tel principe (A), mais aussi du point de vue de la méthode de création utilisée (B).


A – Les raisons de la consécration du principe

L’on retrouve, en l’espèce, les deux raisons classiques expliquant la création des PGD. L’une est d’ordre technique (1), l’autre est d’ordre idéologique (2).

1 - La raison technique : le vide juridique
En créant des PGD, le juge souhaite combler un vide juridique. Le Conseil d’Etat ne crée, en effet, de la jurisprudence que dans les cas où le droit écrit ne contient pas de dispositions applicables à un cas d’espèce donné. Les PGD apparaissent, alors, comme l’instrument privilégié utilisé par le juge administratif pour régler une affaire quand le droit écrit fait défaut.  Ainsi, lors de l’épuration à la fin de la seconde guerre mondiale, le juge est vite confronté à l’absence de textes juridiques lui permettant d’encadrer l’action disciplinaire de l’Administration. Il décide, alors, de se doter lui-même des instruments lui permettant de soumettre l’Administration au droit. C’est l’acte de naissance des PGD. Ces derniers font d’abord l’objet d’une consécration implicite (CE, sect., 5/05/1944, Dame veuve Trompier-Gravier) avant d’être énoncés explicitement (CE, ass., 26/10/1945, Aramu). Il s’agissait dans ces deux affaires du principe général des droits de la défense.
Ce sont les mêmes raisons qui ont poussées le Conseil d'Etat à consacrer le principe appliqué, en l'espèce, par la CAA de Marseille. Ici, le code du travail contient une disposition permettant de satisfaire la demande de Mme. X. Mais, cette dernière, étant agent public, n'est pas soumise au droit du travail. Elle ne peut donc bénéficier de cette protection. L'autre disposition qui s'applique au cas de Mme. X est l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984. Ce dernier prévoit que le poste de travail des salariés inaptes à l'exercice de leurs fonctions doit etre adapté à leur état physique.  Lorsque cette adaptation n'est pas possible, les fonctionnaires peuvent etre reclassés dans des emplois d'un autre corps. Mais, il ne s'agit ici que d'une possibilité de reclassement. Aucune obligation de reclassement en cas d'inaptitude physique définitive n'est prévue. Or, Mme. X a été licenciée sans que l'employeur procède à un examen des possibilités de reclassement de l'intéressé. Le PGD consacré par la Conseil d'Etat  vient donc combler un vide juridique afin d'imposer à l'employeur de tenter de reclasser l'intéressée, en cas d''inaptitude physique à occuper son emploi médicalement constatée, avant de la licencier. Ce principe a été précisé en 2007 par le Conseil d'Etat (CE, 26/02/2007, ANPE). Ainsi, le reclassement est subordonné à une demande de l'intéressé, ce qui interdit à l'employeur d'imposer un tel reclassement, mais celui-ci doit inviter l'intéressé à présenter une telle demande.
Ce principe est applicable aux agents contractuels de droit public, catégorie à laquelle appartient Mme. X. On le voit, la création des PGD a aussi pour but de protéger les administrés.

2 – Les motivations idéologiques : la protection des administrés
Lorsqu’il crée des PGD, le juge a pour dessein de poser des limites à l’action administrative ce qui permet de protéger les administrés. La création de tels principes traduit donc la conception que se fait le juge administratif des rapports entre Administration – administrés. En effet, le juge ne posera à l’action administrative que les limites qu’il estime nécessaires, ou, dit d’une autre façon, ne transformera en règle de droit que les valeurs qu’il estime légitimes. Les PGD apparaissent, alors, comme la traduction juridique des valeurs présentes et reconnues dans la société.
En l'espèce, la consécration du principe du droit au reclassement a pour but de protéger les salariés handicapés, en leur offrant un moyen de garder leur emploi. Ce principe a pour effet de ne plus rendre le licenciement automatique en cas d'inaptitude physique. Le juge tient compte de l'importance grandissante des garanties accordées aux salariés de nos jours. Ici, il ne fait qu'enregistrer cette évolution dans sa jurisprudence. Observer l’ensemble des PGD revient donc à scruter l’évolution générale de la société.
Plusieurs principes relatif au droit du travail ont été consacrés par le juge administratif. Ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il a affirmé le principe du droit à une rémunération au moins égale au salaire minimum de croissance (CE, sect., 23/04/1982, Ville de Toulouse). Surtout, le juge a consacré le principe interdisant de licencier une femme enceinte (Ce, 8/06/1973, Dame Peynet).
Dans un autre domaine, mais toujours en matière sociale, le juge a consacré le principe des droits des étrangers résidant régulièrement en France de mener une vie familiale normale, afin de limiter les effets de la politique restrictive d’immigration menée par la France (CE, ass., 8/12/1978, GISTI).
Ces différents arrêts manifestent donc la politique volontariste du Conseil d’Etat en matière de création des PGD. Cette liberté d’appréciation se retrouve lorsqu’il s’agit de la méthode de création de ces principes.


B – La méthode de création du principe

S’il peut se baser exclusivement sur l’idéologie dominante pour créer les PGD, il arrive plus fréquemment que le juge se réfère à des textes pour les découvrir (1). Se pose alors la question de la nature du lien unissant ces principes aux textes (2).

1 - La référence à des textes
Si, pour découvrir les PGD, le Conseil d’Etat se sert parfois des textes, ces derniers n’ont du point de vue de la création des principes qu’une importance limitée. Ainsi, la référence faite, en l’espèce, au code du travail et au statut de la fonction publique ne doit pas tromper. Le juge entend simplement signifier que le principe en cause est tellement important que même ces textes le consacrent. Il faut comprendre  par là que, par exemple, le code du travail n’est lui-même que l’application d’un principe plus général, d’une idée politique qui préexiste à sa concrétisation par la loi. En d’autres termes, le principe existe en soi, mais est repris par le législateur de façon solennelle dans une loi. Les textes ne doivent, alors, être appréhendée que comme des points de repère indiquant au juge administratif les valeurs jugées importantes à un moment donné dans la société.
Le cheminement conduisant à créer un PGD peut donc être appréhendé en trois étapes. C’est d’abord une idée politique largement admise dans la société. Cette idée est, ensuite, reprise par le législateur dans une loi. Le juge se sert, enfin, de la loi pour remonter jusqu’au principe et, ainsi, consacrer un nouveau PGD. D’un point de vue matériel, c’est-à-dire du point de vue de son contenu, ce principe existe donc avant toute intervention du juge. Mais, d’un point de vue formel, le juge est le seul créateur des PGD, ce qui signifie qu’ils ne doivent leur existence juridique qu’à sa seule volonté. C’est lui qui leur confère une existence juridique.
Si le Conseil d’Etat se réfère à la loi pour créer ce PGD en l’espèce, il peut aussi se référer à d’autres types de dispositions. Ainsi, dans l’arrêt de section du 26 juin 1959, Syndicat des ingénieurs conseils, le Conseil d’Etat s’inspire du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Et, dans l’arrêt d’assemblée du 1° avril 1988, Bereciartua-Echarri, il se réfère à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 pour créer un principe général du droit applicable aux réfugiés.
Ces considérations sur la méthode de création des PGD demandent de s’attarder sur la question, déjà esquissée, du lien existant entre le texte et le PGD

2 - La distinction lien matériel / lien formel
Lorsque le juge stipule que le principe qu’il consacre a déjà fait l’objet d’une consécration textuelle, il entend simplement signifier l’importance du PGD qu’il va consacrer, et non que le PGD tire sa valeur du texte. C’est le problème de la distinction entre lien  matériel et lien formel.
Le lien matériel renvoie au fond du texte, aux idées qui y sont contenues. Le Conseil d’Etat se sert des dispositions des textes pour découvrir le principe qui leur préexiste. Le texte est envisagé ici comme un indicateur.
Le lien formel, en revanche, renvoie à l’autorité du PGD, à sa valeur juridique. Ce n’est pas du texte, par exemple ici du code du travail, que les PGD tiennent leur existence ou leur force obligatoire, mais de la seule volonté du Conseil d’Etat. Quelque soit le texte - constitutionnel, international ou législatif - qu’utilise le Conseil d’Etat pour les découvrir , les PGD n’auront pas l’autorité ou la valeur de ce texte. Ils auront la valeur attribuée aux norme de nature jurisprudentielle.

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