mardi 5 avril 2011

Le PGD interdisant de licencier une femme enceinte (CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet)

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Si les lois et les conventions internationales ont pris, de nos jours, une place grandissante au sein du droit administratif, celui-ci est resté un droit fondamentalement jurisprudentiel. Très tôt, en effet, le juge administratif a été confronté à la pénurie de règles législatives. Cette situation l’a poussé à créer lui-même ses propres règles. Parmi celles-ci, les plus connues sont, sans aucun doute, les principes généraux du droit (PGD). L’affaire opposant Mme. Peynet au préfet du Territoire de Belfort est l’occasion pour le Conseil d’Etat de consacrer une nouvelle fois un tel principe.
En effet, Mme. Peynet est recrutée, en tant qu’agent public, le 17 septembre 1965 par le territoire de Belfort pour exercer les fonctions d’infirmière auxiliaire à l’institut médico-pédagogique « Les éparses » à Chaux. Enceinte, elle est licenciée par une décision du préfet en date du 4 août 1967. Elle intente, alors, un recours gracieux qui est rejeté le 11 août 1967. Mme. Peynet saisit donc le tribunal administratif de Besançon pour qu’il annule cette dernière décision. Celui-ci rejette, cependant, cette requête le 17 octobre 1969. Elle saisit, alors, le Conseil d’Etat pour qu’il réforme ce jugement. Celui-ci annule la décision du 4 août 1967 par la médiation d’un nouveau PGD , celui qui interdit de licencier une femme enceinte.
Par cette décision, le Conseil d’Etat inaugure la longue liste des PGD applicables en matière de droit du travail. Il entend, ce faisant, suppléer aux carences du statut des agents publics s’agissant du licenciement d’une femme enceinte. En effet, aucune règle applicable à Mme. Peynet ne permet de sanctionner l’attitude du préfet. Le code du travail contient bien une telle règle, mais il n’est pas applicable au agents publics. Jugeant la situation choquante pour l’époque, le juge administratif décide de consacrer un nouveau PGD afin d’accorder une protection à Mme. Peynet. Si il se réfère, pour cela, au code du travail, cette référence ne doit pas tromper. En effet, bien qu’il se serve parfois des textes pour les découvrir, le juge reste le seul créateur des PGD. Il n’existe, ainsi, aucun lien formel entre PGD et textes. Seule une communauté de valeur est admise. Dès lors, se pose la question de la valeur juridique à accorder à de tels principes. Si plusieurs thèses se sont affrontées, celle de la valeur infralégislative et supradécrétale du professeur Chapus semble devoir l’emporter ; la considération du caractère spécialisé du principe étudié, par rapport à la généralité des premiers PGD, n’ayant, s’agissant de cette question, aucune influence.
Ainsi, Il est possible d’étudier dans une première partie l’origine du principe général du droit interdisant de licencier une femme enceinte (I) pour analyser dans une seconde partie sa force juridique (II).

I – L’origine du principe général du droit interdisant de licencier une femme enceinte


Cette origine peut être envisagée du point de vue des raisons qui ont poussées le juge à consacrer un tel principe (A), mais aussi du point de vue de la méthode de création utilisée (B).

A – Les raisons de la consécration du principe


L’on retrouve, en l’espèce, les deux raisons classiques expliquant la création des PGD. L’une est d’ordre technique (1), l’autre est d’ordre idéologique (2).

1 - La raison technique : le vide juridique
En créant des PGD, le juge souhaite combler un vide juridique. Le Conseil d’Etat ne crée, en effet, de la jurisprudence que dans les cas où le droit écrit ne contient pas de dispositions applicables à un cas d’espèce donné. Les PGD apparaissent, alors, comme l’instrument privilégié utilisé par le juge administratif pour régler une affaire quand le droit écrit fait défaut. Ainsi, lors de l’épuration à la fin de la seconde guerre mondiale, le juge est vite confronté à l’absence de textes juridiques lui permettant d’encadrer l’action disciplinaire de l’Administration. Il décide, alors, de se doter lui-même des instruments lui permettant de soumettre l’Administration au droit. C’est l’acte de naissance des PGD. Ces derniers font d’abord l’objet d’une consécration implicite (CE, sect., 5/05/1944, Dame veuve Trompier-Gravier) avant d’être énoncés explicitement (CE, ass., 26/10/1945, Aramu). Il s’agissait dans ces deux affaires du principe général des droits de la défense.
Ce sont les mêmes raisons qui poussent le Conseil d’Etat à consacrer le principe général interdisant de licencier une femme enceinte. En effet, le code du travail énonce une telle règle (art. 29 livre 1°), mais Mme. Peynet étant agent public, ce texte ne s’applique pas à elle. De plus, il existe des dispositions relatives à la situation du personnel auxiliaire du Territoire de Belfort, mais elles ne concernent que la rémunération et les congés. Aucune disposition ne permet donc de satisfaire sa demande. Or, le juge estime que l’époque justifie que des garanties soient accordées aux femmes se trouvant dans cette situation.

2 – Les motivations idéologiques : la protection des administrés
Lorsqu’il crée des PGD, le juge a pour dessein de poser des limites à l’action administrative ce qui permet de protéger les administrés. La création de tels principes traduit donc la conception que se fait le juge administratif des rapports entre Administration – administrés. En effet, le juge ne posera à l’action administrative que les limites qu’il estime nécessaires, ou, dit d’une autre façon, ne transformera en règle de droit que les valeurs qu’il estime légitimes. Les PGD apparaissent, alors, comme la traduction juridique des valeurs présentes et reconnues dans la société.
Tel est le cas du principe interdisant de licencier une femme enceinte. La consécration d’un tel principe n’aurait probablement pas été possible au début du XX° siècle, les droits des femmes et des salariés étant peu reconnus. Les années soixante-dix sont, en revanche, marquées par l’affirmation des droits des femmes, ce qui se traduit par un mouvement visant à parachever l’égalisation entre les deux sexes. Le juge administratif tient compte de cette évolution et l’enregistre dans sa jurisprudence. Observer l’ensemble des PGD revient donc à scruter l’évolution générale de la société.
Plusieurs principes relatif au droit du travail seront consacrés par le juge administratif. Ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il a affirmé le principe du droit à une rémunération au moins égale au salaire minimum de croissance (CE, sect., 23/04/1982, Ville de Toulouse). Récemment, il a consacré le principe général du droit au reclassement et au licenciement en cas d’inaptitude physique (CE, 2/10/2002, CCI de Meurthe-et-Moselle). Si les droits des salariés font de nos jours l’objet d’atteinte progressives de la part du législateur, il n’en va pas de même s’agissant des garanties accordées aux salariés handicapés. Le juge administratif participe, par là, à cette évolution.
Dans un autre domaine, mais toujours en matière sociale, le juge a consacré le principe des droits des étrangers résidant régulièrement en France de mener une vie familiale normale, afin de limiter les effets de la politique restrictive d’immigration menée par la France (CE, ass., 8/12/1978, GISTI).
Ces différents arrêts manifestent donc la politique volontariste du Conseil d’Etat en matière de création des PGD. Cette liberté d’appréciation se retrouve lorsqu’il s’agit de la méthode de création de ces principes.

B – La méthode de création du principe


S’il peut se baser exclusivement sur l’idéologie dominante pour créer les PGD, il arrive plus fréquemment que le juge se réfère à des textes pour les découvrir (1). Se pose alors la question de la nature du lien unissant ces principes aux textes (2).

1 - La référence à des textes
Si, pour découvrir les PGD, le Conseil d’Etat se sert parfois des textes, ces derniers n’ont du point de vue de la création des principes qu’une importance limitée. Ainsi, la référence faite, en l’espèce, à l’article 29 du livre 1° du code du travail ne doit pas tromper. Le juge entend simplement signifier que le principe en cause est tellement important que même le code du travail le consacre. Il faut comprendre par là que le code du travail n’est lui-même que l’application d’un principe plus général, d’une idée politique qui préexiste à sa concrétisation par la loi. En d’autres termes, le principe existe en soi, mais est repris par le législateur de façon solennelle dans une loi. Les textes ne doivent, alors, être appréhendée que comme des points de repère indiquant au juge administratif les valeurs jugées importantes à un moment donné dans la société.
Le cheminement conduisant à créer un PGD peut donc être appréhendé en trois étapes. C’est d’abord une idée politique largement admise dans la société. Cette idée est, ensuite, reprise par le législateur dans une loi. Le juge se sert, enfin, de la loi pour remonter jusqu’au principe et, ainsi, consacrer un nouveau PGD. D’un point de vue matériel, c’est-à-dire du point de vue de son contenu, ce principe existe donc avant toute intervention du juge. Mais, d’un point de vue formel, le juge est le seul créateur des PGD, ce qui signifie qu’ils ne doivent leur existence juridique qu’à sa seule volonté. C’est lui qui leur confère une existence juridique.
Si le Conseil d’Etat se réfère à la loi pour créer ce PGD en l’espèce, il peut aussi se référer à d’autres types de dispositions. Ainsi, dans l’arrêt de section du 26 juin 1959, Syndicat des ingénieurs conseils, le Conseil d’Etat s’inspire du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Et, dans l’arrêt d’assemblée du 1° avril 1988, Bereciartua-Echarri, il se réfère à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 pour créer un principe général du droit applicable aux réfugiés.
Ces considérations sur la méthode de création des PGD demandent de s’attarder sur la question, déjà esquissée, du lien existant entre le texte et le PGD

2 - La distinction lien matériel / lien formel

Lorsque le juge stipule que le principe qu’il consacre a déjà fait l’objet d’une consécration textuelle, il entend simplement signifier l’importance du PGD qu’il va consacrer, et non que le PGD tire sa valeur du texte. C’est le problème de la distinction entre lien matériel et lien formel.
Le lien matériel renvoie au fond du texte, aux idées qui y sont contenues. Le Conseil d’Etat se sert des dispositions des textes pour découvrir le principe qui leur préexiste. Le texte est envisagé ici comme un indicateur.
Le lien formel, en revanche, renvoie à l’autorité du PGD, à sa valeur juridique. Ce n’est pas du texte, par exemple ici du code du travail, que les PGD tiennent leur existence ou leur force obligatoire, mais de la seule volonté du Conseil d’Etat. Quelque soit le texte - constitutionnel, international ou législatif - qu’utilise le Conseil d’Etat pour les découvrir , les PGD n’auront pas l’autorité ou la valeur de ce texte. Ils auront la valeur attribuée aux norme de nature jurisprudentielle.

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