mardi 5 avril 2011

Le Conseil d'Etat et l'élaboration du droit (synth.)

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Le Conseil d'Etat participe à l'élaboration du droit de deux façons : en créant de la jurisprudence dans le cadre de sa fonction contentieuse, et en conseillant le Gouvernement dans le cadre de sa fonction consultative.


La participation du Conseil d'Etat à l'élaboration du droit dans le cadre de sa fonction juridictionnelle : l'élaboration de la jurisprudence administrative


I - L'origine de la jurisprudence administrative


Pour trancher les litiges entre Administration et administrés, le Conseil d'Etat doit appliquer des règles aux litiges. Mais ce constat soulevait des difficultés en droit administratif. En effet, le juge administratif considérait qu'il fallait appliquer des règles spéciales, différentes de celles du droit civil. Or, ces règles, à la fin du 19° sicèle, n'existaient pas. Il y avait, en effet, peu de lois relatives aux litiges administratifs.

Cette carrence a poussé le juge administratif à élaborer lui-meme ses propres régles. Or, le Conseil d'Etat n'a pu le faire qu'à partir de 1872, date à laquelle il est devenu une véritable juridiction. Ce n'est qu'à partir de cette date qu'il a pu élaborer de la jurisprudence administrative et commencer à soumettre l'Administration au droit. C'est ce qui explique que l'arret qui a fondé le droit administratif ne soit pris qu'après 1872. Cet arret est l'arret Blanco du tribunal des conflits du 8 Février 1873.
Les principes posés par l'arret Blanco sont simples. Les litiges qui opposent l'Administration aux particuliers ne doivent pas etre soumis au droit privé. Ils doivent etre régis par des règles spéciales : le droit administratif. Ces règles devront concilier les nécessités de l'action administrative, qui supposent des pouvoirs importants dans la mesure ou l'Administration est garante de l'intéret général, et le respect des droits des individus. On en déduit que dans la mesure ou ces règles n'existent pas, c'est au Conseil d'Etat qu'il reviendra de les créer. Cette soumission de l'Administration au droit a pu fonctionner car les juges administratifs reçoivent la meme formation ques les administrateurs, ils appartiennent aussi à des formations consultatives du Conseil d'Etat en prise avec les problèmes concrets que rencontre l'Administration. Leur connaissance des rouages administratifs leur a donc permis de ne poser à l'action administrative que les limites strictement nécessaires, ce qui a facilité l'acceptation par l'Administration des règles posées par le Conseil d'Etat. En d'autres termes, cette proximité a favorisé la soumission de l'Administration au droit
Cet arret pose aussi un critère de compétence : le juge administratif est compétent toutes les fois que le litige concerne un service public. Meme si ce critère subira quelques décennies plus tard des atteintes, la notion de service public reste une notion fondamentale en droit administratif.
Le professeur Guy Braibant distingue trois étapes dans l'élaboration de la jurisprudence administrative. La première va de la fin du 19° siècle à la Seconde Guerre mondiale : il s'agit ici pour le juge administratif de poser les principes à la base du droit administratif en matière de REP, de responsabilité, de droits et obligations des fonctionnaires. Après la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années 80, le Conseil d'Etat poursuit sa mission de controle de l'Administration avec les créations des PGD qui permettent d'accorder des garanties aux administrés. Depuis les années 80, le juge administratif s'est attelé à définir les conditions d"intégration du droit international en droit interne; il est aussi beaucoup intervenu pour réglementer le droit des étrangers.
Ces dernières années la création jurisprudentielle s'est ralenti. Il faut d'abord y voir le fait que beaucoup de règles ont déjà été posées. En d'autres termes, il ne peut pas y avoir un arret de principe tous les mois. D'autres évoquent le fait que le législateur intervient de plus en plus dans le domaine du droit administratif pour des motifs politiques. Par ailleurs, le Conseil d'Etat aurait la volonté de ne pas empiéter sur les pouvoirs du législateur, une façon pour lui de laisser au pouvoir politique l'initiative des réformes.



II - Les formations contentieuses du Conseil d'Etat


C'est la section du contentieux qui joue le role de formation de jugement, ce qui permet au Conseil d'Etat de juger et donc d'élaborer de la jurisprudence administrative. Cette section se compose de 10 sous-sections composées chacune de 3 conseillers d'Etat, assistés d'auditeurs et de maitres des requetes.

Il existe 4 types de formation de jugement.

- Les formations simples :
- 2 ou 3 sous-sections réunies : le première instruit l'affaire et s'unie à une seconde, parfois une troisième, sous-section pour rendre l'arret.
- une sous-section seule peut etre une formation de jugement pour les questions simples, comme par exemple les questions ne relevant pas manifestement de l'ordre administratif.

- Les fomations solennelles se réunissent pour les questions délicates impliquant un revirement de jurisprudence ou une prise de position sur l'application d'une nouvelle règle juridique.
- la section du contentieux en formation de jugement, à ne pas confondre avec l'ensemble des formations de jugement, comprend 17 membres : président de la section, 3 présidents adjoints, 10 présidents de sous-sections, 2 conseillers d'Etat siégeant en meme temps dans une section administrative et le rapporteur.
- l'assemblée du contentieux est la formation de jugement la plus importante. Elle comprend : le vice-président du Conseil d'Etat, les présidents de section, les 3 présidents adjoints de la section du contentieux, le président de la sous-section chargée de l'examen de l'affaire et le rapporteur.


La participation du Conseil d'Etat à l'élaboration du droit dans le cadre de ses fonctions en matière administrative et législative

Il s'agit d'une participation indirecte du Conseil d'Etat à la création du droit. Elle se manifeste à travers sa fonction consultative et son pouvoir de proposition.

I - Les fonctions consultatives du Conseil d'Etat

L'influence qu'exerce le Conseil d'Etat sur l'élaboration du droit est inversement proportionnelle aux pouvoirs du Parlement. Plus le législateur est puissant, plus le role du Conseil d'Etat est limité.

Les organes exerçant les fonctions consultatives :

- Les sections comprennent des conseillers d'Etat en service ordinaire, des conseillers d'Etat en service extradordinaire, des maitres des requetes et des auditeurs. Elles concernent l'intérieur, les travaux publics, le social et les finances. Elles examinent les demande d'avis en provenance des différents départements ministériels.
En cas d'avis relatif à plusieurs domaines, les sections peuvent se réunir ou former une commission composée de réprésentants de chaque section concernée.

-La commission permanente se prononce dans les cas urgents constatés par le Premier ministre.

- L'assemblée générale se réunie pour les projets de texte les plus importants. Il existe deux types d'assemblée générale :
-  l'assemblée générale ordinaire est composée du vice-président du Conseil d'Etat, des présidents de section, d'un président adjoint de la section du contentieux, de 15 conseillers d'Etat affectés aux services administratifs et de 12 conseillers d'Etat affectés à la section du contentieux.
- l'assemblée générale plénière comprend tous les membres qui sont au moins conseillers d'Etat.

Les attributions consultatives :

Il est important ici de souligner que le Conseil d'Etat n'émet que des avis. Le Gouvernement peut donc ne pas les suivre. Par ailleurs, la consultation peut etre obligatoire ou facultative.

- Les cas de consultation obligatoire :
- les projets de lois (art. 34 de la Constitution).
- les projets d'ordonnances (art. 38 C.).
- les décrets modifiant les lois antérieures à 1958 intervenues sur le domaine du réglement tel que délimité par la Constitution de 1958. C'est la procédure de délégalisation prévue par l'article 37 de la Constitution.
- les décrets en Conseil d'Etat prévus par une loi. Il s'agit de décrets élaborés par le Gouvernement qui doivent obligatoirement passer devant le Conseil d'Etat pour avis. Le texte définitif est, soit le texte élaboré par le Gouvernement, soit celui élaboré par la formation administrative du Conseil d'Etat saisie. Cette procédure limite la libertés du Gouvernement. Si ce dernier veut prendre un texte différent, il doit à nouveau consulter le Conseil d'Etat.

La procédure est simple : les projets de texte sont transmis par le secrétaire général du Gouvernement au Conseil d'Etat et affectés à la section administrative compétente. Un rapporteur est désigné et, au vu de son rapport, la section émet un avis ou transmet le dossier à une formation plus solennelle.

- Les cas de consultation facultative :
- le Gouvernement décide de soumettre au Conseil d'Etat une question de droit délicate ou un projet de texte : par exemple, l'avis du 27 Novembre 1989 sur le port du foulard.
- la révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008 a instauré la possibilité d'une consultation préalable à l'examen en commission concernant les propositions de loi à l'initiative du président de l'assemblée ou le texte a été déposé (art. 39-5 de la Constitution). Cette procédure a été précisée par la loi du 15 Juin 2009. Cette demande d'avis est strictement enacadrée. D'abord, elle ne concerne que les propositions de loi et non les amendements déposés par les parlementaires. Ensuite, la saisine du Conseil d'Etat est facultative, et le parlementaire, auteur de la proposition, peut s'y opposer. Par ailleurs, les avis rendu ne sont pas rendus publics.

Dans le cadre de cette fonction, le Conseil d'Etat controle la forme et le style, la cohérence générale du texte avec le droit (par exemple sa confomité avec les normes internationales). Mais, son controle ne doit pas porter sur les choix politiques du Gouvernement.
Par ailleurs, il est difficile d'isoler l'apport du Conseil d'Etat, surtout que rien ne rend obligatoire la publication de ces avis.


III - Le role de proposition du Conseil d'Etat


L'article 24 de l'ordonnance du 31 Juillet 1945 prévoit : "le Conseil d'Etat peut, de sa propre initiative, appeler l'attention des pouvoirs publics sur les réformes d'ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes à l'intéret général". C'est la section du rapport et des études qui est chargée de faire des propositions. Cette dernière assure, par ailleurs, le suivi de l'exécution des décisions juridictionnelles.

Cette fonction se manifeste de différentes façons :
- le rapport annuel retraçant l'ensemble des activités du Conseil d'Etat, accompagné de recommandations et d'articles.
- les études commandés par les pouvoirs publics ou lancées à l'initiative du Conseil d'Etat lui-meme (par exemple, la bioéthique).

Les effets sur le Gouvernement ou le Parlement sont difficiles à mesurer dans la mesure ou il ne s'agit que de recommandations, et ou la procédure revet une part informelle. Mais, la publicité donnée aux études et à la quasi-totalité du rapport annuel permet de faire mettre en lumière un problème important et de faire pression sur le Gouvernement. De plus, la pertinence des recommandations permet souvent de résoudre un problème épineux.

On le voit, la participation du Conseil d'Etat à l'élaboration du droit s'est diversifiée dans ses formes et dans ses méthodes.

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