mardi 5 avril 2011

Les contours du respect de la dignité humaine (CE, 26/11/2008, Syndicat mixte de la Vallée de l'Oise)

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La police administrative est, avec le service public, l'une des deux activités de l'Administration. Elle a pour but la protection de l'ordre public dans le respect des libertés publiques. L'ordre public a essentiellement une dimension matérielle qui comprend la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques. Mais, le juge administratif y a ajouté une dimension morale, avec notamment le principe du respect de la dignité de la personne humaine. Cette dernière notion est au coeur de l'arret étudié.

Dans cette affaire, le préfet de le Somme autorise, par un arreté du 17 Novembre 2004, la société Valnor à exploiter sur le site du Bois des Loges un centre de traitement des déchets. La commune de Fresnières, proche du site concerné, et plusieurs autres requérants sasissent le tribunal administratif d'Amiens pour qu'il annule cet arreté, ce qu'ils obtiennent le 18 Octobre 2005. Cette décision s'explique par le fait que le site en cause a été le lieu de batailles durant la Premère Guerre mondiale et que, de ce fait, de nombreuses dépouilles de soldats, sont encore présentes. Le juge de premier ressort estime que le préfet a fait une mauvaise conciliation des intérets en présence, en d'autres termes qu'il n'a pas assuré le respect de la dignité de la personne humaine. Par la suite, le cour administrative d'appel de Douai est saisie et casse le jugement de première instance. Mais, elle enjoint le préfet à prendre des mesures complémentaires afin de faire assurer le respect de la dignité de la personne humaine, ce qu'il fait le 28 février 2007. Les opposants au projet saisissent le Conseil d'Etat pour faire annuler le jugement de la cour d'appel. Le 26 novembre 2008, celui-ci valide l'arreté préfectoral en considérant qu'il n' a pas méconnu le principe du respect de la dignité humaine.
Les développements du juge administratif relatif ce principe constitue l'intéret majeur de cet arret. Le respect de la dignité humaine est un principe consacré à de multiples reprises en droit international comme en droit interne. Ainsi, le Conseil constitutionnel en fait un principe à valeur constitutionnelle. Ce principe n'est pas non plus étranger au Conseil d'Etat. Ainsi, en 1995, la Haute juridiction considère que le respect de la dignité humaine est une composante de l'ordre public. Quelques années auparavant, elle avait jugé que ce principe ne s'arretait pas à la mort de la personne. L'arret étudié s'inscrit donc dans la lignée d'une jurisprudence bien établie. Mais, son intéret est de préciser les contours de cette notion. Ainsi, le Conseil d'Etat estime que le respect de la dignité humaine englobe le respect du aux morts, mais refuse de consacrer un devoir de mémoire.
Puis, la Haute juridiction opère un classique controle de proportionnalité en comparant les atteintes, réelles, au respect de la dignité de la personne humaine, aux objectifs poursuivis, environnementaux notamment. Et, le juge estime que compte tenu des mesures prises pour assurer un relèvement et une inhumation décente, le principe du respect de la dignité humaine n'est pas méconnu.
Il convient donc d'étudier, dans une première partie, le principe du respect de le dignité humaine (I), puis d'analyser, dans une seconde partie, la légalité de l'arreté du préfet de la Somme (II).


I – Le juge administratif et le respect de la dignité de la personne humaine

Le principe du respect de la dignité humaine a déjà fait l'objet de multiples consécrations (A). Il fait, cependant ici l'objet d'une application remarquable qui permet d'en dresser les contours (B).


A – Les précédentes consécrations

Certaines sont extérieures au juge administratif (1), une est le fait d'un Conseil d'Etat (2).

1 - Les consécrations extérieures au juge administratif
Le respect de la dignité de la personne humaine fait l'objet de multiples consécrations au plan interne comme au plan international. C'est d'abord un principe consacré par de multiples conventions internationales : ainsi, la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne y fait référence, et le Cours de justice des communautés européennes le consacre comme principe général du droit.
Au plan interne, c'est le Conseil constitutionnel qui en a fait un principe à valeur constitutionnelle lors de son controle en 1994 des lois de bioétique. De meme, la Cour de cassation, ou encore le Code civil, y font référence. C'est en 1995 que le Conseil d'Etat vient consacrer cette notion.

2- La consécration opérée par le Conseil d'Etat : l'arret Commune de Morsang-sur-Orge
Le 27 Octobre 1995, le Conseil d'Etat, par un arret d'assemblée vient faire du reespect de la dignité de la personne humaine l'une des composantes de l'ordre public. Dès lors, toute autorité de police administrative peut prendre une mesure ayant pour but la prévention ou la répression des atteintes à la dignité de la personne humaine, meme en l'absence de circonstances locales particulières. Cette jurisprudence sera appliquée en 1997 aux "messageries roses" (CE, 8/12/1997, Commune d’Arcueil).
Cet arret marquait aussi un certain changement de méthode de la part de Conseil d'Etat. Ainsi, alors que les mesures de police administrative ont généralement un but de nature collective, ici le but apparait plus personnalisé. En effet, s'il s'agit de protéger la conception que se fait la société de la dignité humaine, le but est aussi de protéger une personne identifiée.
Comme en matière de moralité publique, il y a lieu de s’interroger sur l’impact que peut avoir une telle jurisprudence au regard des libertés publiques. En effet, si le noyau dur de cette notion est partagé par tout le monde, ses contours peuvent faire l’objet d’appréciations divergentes. D'autres part, la dignité de la personne humaine ne se prouve pas. Cela dépend d’un choix subjectif du juge. Les memes remarques peuvent etre faites s'agissant du contenu de ce principe.

B- Les contours du principe du respect de la dignité humaine

Les requérants invoquaient deux aspects du principe en cause : le premier concerne le respect du aux morts, cet aspect des choses fait l'objet d'un examen favorable de la part du Conseil d'Etat (1). En revanche, l'autre aspect, celui du devoir de mémoire, n'est pas retenu (2).

1 – Le nécessaire respect du aux morts
La solution du 26 Novembre 2008 vient confirmer que le respect de la dignité de la personne humaine se prolonge meme après la mort. Cette solution s'appuie sur de multiples consécrations juridiques, ainsi que sur un arret célèbre de la Haute juridiction. En effet, le droit pénal sanctionnent les atteintes au respect du aux morts. De meme, le droit civil  pose que la loi garantit  le respect de la personne humaine dès le commencement de la vie, ce qui inclue le respect du aux morts.
Ces différentes remarques attestent de l’existence dans la société d’un volonté de protection à l’égard du corps humain après la mort basé sur le respect dû aux morts. Le Conseil d’Etat est venu, en 1993, consacrer le principe du respect de la personne humaine meme après la mort, à propos d'expérimentations menées sur des personnes décédées (CE, ass., 2/07/1993, Milhaud). Il a, ainsi, posé l'interdiction des expérimentations sur un sujet après sa mort, sauf si certaines conditions sont remplies. Ainsi, la mort doit avoir été constatée selon un procédure bien définie, l’expérimentation doit répondre à une nécessité scientifique reconnue. Par ailleurs, le médecin doit avoir obtenu l’accord de l’intéressé ou de ses proches.
La solution de 2008 n'innove pas. Dans cettte affaire, il s'agissait d'assurer le respect des dépouilles de soldats présentes sur le lieu de construction de l'usine. En posant que le préfet doit assurer le respect de la dignité de la personne humaine, le juge administratif signifie, par là, que ce principe ne cesse pas de s'appliquer après la mort. Il en va autrement du devoir de mémoir invoqué par les requérants.

2 – Le "devoir de mémoire" : une exigence purement morale
Conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar, le Conseil d'Etat n'a pas intégré au principe du respect de la dignité de la personne humaine la notion de devoir de mémoire. M. Guyomar considérait, en effet, que cette notion a une porté politique et morale tout à fait significative, mais se refusait à lui donner une portée normative.
Par certains aspects, la solution de Conseil d'Etat peut surprendre quand l'on sait que la création prétorienne du juge administratif dépend étroitement des évolutions de la société, comme en témoignent les principes généraux du droit. Or, la notion de devoir de mémoire a pris un relief particulier depuis quelques annnées, en référence aux actes antisémites commis pendant l'Occupation, ou aux actes de torture lors de la guerre d'Algérie. La Haute juridiction aurait donc pu saisir l'occasion pour consacrer cet aspect de la dignité de la personne humaine. Mais, le juge administratif a, sans doute, été freiné par la difficulté de dresser les contours de cette notion.

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