mardi 5 avril 2011

LA CLASSE OUVRIÈRE AMÉRICAINE : RESTRUCTURATION DU CAPITAL GLOBAL, RECOMPOSITION DU TERRAIN DE CLASSE

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Introduction
Loren Goldner, 1981


Avertissement au lecteur : Ce texte a été écrit en 1981, puis légèrement retouché en vue d'une actualisation. Il est donc à lire comme un "work in progress". Commentaires et critiques sont donc les bienvenus.
 


Tous les gouvernements depuis celui de Reagan, arrivé au pouvoir en 1981, pensent que les problèmes économiques qu'ils ont à affronter sont l'inflation, le niveau trop élevé des impôts, l'excès d'intervention de l'Etat et le faible taux d'investissement des capitaux. En réalité, leur vrai problème, c'est que les forces productives se révoltent contre les rapports de production dominants.
La contradiction fondamentale du capitalisme, c'est qu'il développe les forces productives jusqu'au stade où les moyens de production, en tant que travail matérialisé du passé, et la force de travail vivante, ou travail salarié, ne peuvent plus être contenus dans les rapports de valeur. Toute médiation par l'échange entre activités des producteurs individuels et unités de production devient alors impossible.
Les principaux éléments participant à la reproduction sociale élargie se présentent, dans le cadre du capitalisme, comme des constituants de la valeur. Ceux-ci représentent des dépenses de force de travail dont la valeur est déterminée par le temps socialement nécessaire à sa reproduction. Le taux de plus-value, qui s'établit selon la formule S / C + V – où C représente le capital constant, ou moyens de production matériels, V le capital variable, ou travail vivant, et S la plus-value – décide des paramètres de la reproduction sociale dans son ensemble. S est la plus-value qui, une fois soustraite la consommation de la classe capitaliste, va se trouver divisée entre les trois catégories capitalistes que sont le profit, l'intérêt et la rente foncière.
La contradiction fondamentale du capitalisme telle qu'elle s'exprime dans l'apparence des pratiques capitalistes est qu'il développe les forces productives jusqu'au stade où toute innovation technologique visant à accroître le taux de la plus-value, donc le profit d'un capital individuel, crée davantage de titres à la plus-value totale qu'elle n'ajoute de plus-value à l'échelle du capital total.
Tous les efforts faits par les gouvernements depuis trente ans ont tendu à permettre aux titres capitalistes à la plus-value disponible à l'échelle mondiale (sous forme de profit, intérêt et rente foncière) de rester stables, quitte à ce que cela se traduise par une régression dans les formes matérielles de la reproduction sociale. C'est ainsi que les rapports dominants de production sont devenus un frein au développement des forces productives.
Le problème auquel est confronté le gouvernement américain n'est pas nouveau. Pendant tout le XXe siècle, le capitalisme a dû faire face à "ce qui, à une époque antérieure, serait apparu comme une absurdité", à savoir "l'excès de civilisation, l'excès de moyens de subsistance, l'excès d'industrie, l'excès de commerce". Ce qui est nouveau dans la situation d'aujourd'hui, c'est que toutes les solutions trouvées pour résoudre ce problème, notamment depuis la dernière crise généralisée de 1929-33, ont vécu. Pour qu'il y ait équilibre entre les titres capitalistes au profit, à l'intérêt et à la rente foncière et le taux de plus-value du moment, il faut nécessairement qu'une part des forces productives soit détruite, comme ça a été le cas dans la longue crise de 1929-45 et dans la version antérieure de cette même crise, entre 1907 et 1920.
La résolution de la crise capitaliste n'a pas toujours supposé une destruction de cette ampleur. Au XIXe siècle, dans le capitalisme "classique" analysé par Marx, la loi tendancielle selon laquelle les titres capitalistes (profit, intérêt, rente foncière) à la plus-value disponible dépassent périodiquement le taux de plus-value S / C + V s'est exprimée à travers des crises déflationnistes, au cours desquelles une part de ces titres (fictifs au regard du coût de reproduction du capital total) s'est trouvée détruite ou dévalorisée. L'équilibre entre les composants de valeur du rapport S / C + V (titres capitalistes profit/interêt/rente foncière [S], divisés par le prix du travail [V] ajouté au prix du capital fixe [C] [1]) a été rétabli grâce à la liquidation des stocks, à une période de chômage massif et à de multiples faillites d'entreprises non concurrentielles. Une fois le rapport S / C + V recomposé de façon à permettre aux capitaux individuels de s'ajuster au taux de profit moyen, le processus d'accumulation redémarrait. Pendant toute la période 1814-1914, le capitalisme a beaucoup élargi la reproduction sociale sans avoir recours à la destruction physique des forces productives qui a caractérisé le XXe siècle.
Qu'est-ce qui a changé depuis ?
Entre 1890 et 1914, le capitalisme s'est pour la première fois heurté, à l'échelle de la planète, à sa limite historique générale. Dans les zones capitalistes d'alors, la déflation ne pouvait plus suffire à recomposer les constituants de la valeur S / C + V de façon à ce qu'ils se réajustent au taux de profit. La force de travail et les moyens de production étaient devenus trop productifs pour être contenus dans les rapports sociaux dominants, et cela quelque soit le niveau de productivité.
En d'autres termes, le constituant V de la valeur [2] du produit social global ne pouvait plus augmenter à un rythme compatible avec la reproduction élargie de la société prise dans son ensemble.
Ce qui s'est achevé dans les années 1890-1914, c'est la phase de l'accumulation fondée sur la production de la plus-value absolue, obtenue par le prolongement de la journée de travail et par l'accumulation primitive tirée de la transformation d'une masse de petits producteurs (paysans et artisans) en salariés. Cette phase, celle de la domination formelle du capital sur le travail, s'est achevée avec la longue crise de 1914-45, cédant la place à une nouvelle phase, fondée sur la plus-valeur relative et sur la poursuite de l'accumulation primitive aux dépens des populations non capitalistes. Dans cette phase de l'accumulation de la plus-value relative, ou phase de la domination réelle du capital sur le travail, le travail tend à se réduire à sa forme proprement capitaliste de travail abstrait [3]. C'est ce mode d'accumulation qui a dominé la période 1945-73.
Ce qui distingue la phase de la domination réelle du capital (qualifiée à tort de "capitalisme de monopole" par le courant non marxiste des "économistes radicaux") de la phase antérieure, c'est qu'à l'échelle globale, le constituant V du rapport S / C + V n'est pas élargi mais recomposé (par la destruction ou la stagnation de la force de travail, par la baisse du coût de production des éléments de la consommation de la classe ouvrière, par l'accumulation primitive – celle-ci servant, comme au XIXe siècle, à réduire le salaire global – et enfin par la baisse du coût du travail, celui-ci pouvant descendre au-dessous du niveau de reproduction, comme c'est le cas aux Etats-Unis depuis les années 1958-65). C'est donc dans la phase de la domination réelle que s'exprime, à l'échelle globale et sous des formes historiques concrètes dont nous traiterons plus loin, la contradiction fondamentale du capitalisme : les forces productives ont atteint un niveau de développement où toute innovation technologique produit davantage de titres (fictifs) capitalistes à la plus-value totale qu'elle ne crée de plus-value supplémentaire. Dès lors, le rapport capital-travail ne peut plus se maintenir : il est condamné soit à détruire une part importante de la force de travail, soit à se voir détruit par celle-ci.

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